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Catégorie : Formation

Article paru dans « Revue EPS1, n°82, mars-avril 1997
Corinne Mérini
IUFM de Versailles
Université de Paris-Sud.

VERS UNE LECTURE DES SITUATIONS DE VISITE

 

FORMATION

Dans un article antérieur Enseigner l’EPS dans le premier degré [1], l’auteur cernait différents niveaux d'expertise pour enseigner EPS. Mais comment organiser une formation qui les prenne en compte ? Les visites, espace original de formation, privilégient justement, des actions du formateur, adaptées à ces registres d'habiletés. Trois types d'intervention sont ici identifiés.

Traditionnellement, lorsque l’on évoque les situations de formation des maîtres en EPS, on a coutume de les rattacher soit aux modules de formation initiale, soit aux stages de formation continue, voire enfin aux animations de circonscription. Il est pourtant d’autres situations de formation que les collègues CPAIEN (1) et IMF (2) connaissent bien et qui sont rarement objet de recherche ou de réflexion : ce sont les situations dites de visites, qu’elles s’adressent aux étudiants de première et deuxième année de l’IUFM (3), aux stagiaires recrutés sur la liste complémentaire ou aux instituteurs en poste.

 

L'ACTE D'ENSEIGNER L'EPS

Nous avons montré dans des travaux [1] que si l’acte d’enseigner l’EPS dans le premier degré s'organisait fondamentalement autour de quatre notions opératoires (concevoir, gérer, animer, observer/évaluer) on pouvait aussi identifier différents niveaux d’habileté à mettre ces opérations en œuvre.
Exposer les choses ainsi a l’avantage d'éclaircir les systèmes de référence sous-jacents, mais présente l’inconvénient (comme pour les référentiels de compétences d’ailleurs) de laisser imaginer l’acte de formation comme unique, homogène et visant bien entendu le niveau d’expertise maximum.
Nous serions alors dans une sorte de modèle idéal typique de formation.
Ce serait ignorer la complexité de l’acte d’enseigner et de former. Ce serait surtout fermer les yeux sur l’hétérogénéité des populations d’étudiants ou de stagiaires. Ce serait enfin ne pas prendre en compte l’interactivité de la situation de formation.

Ainsi, tout laisse supposer qu’il n’existe pas un système de référence, mais des systèmes de compréhension de l’acte d’enseignement et des événements qui le composent
Événements qui sont de degrés et de nature différents et ceci à un double niveau : celui du stagiaire qui agit et celui du formateur présent qui observe (4). L’acte d’enseigner l’EPS est ici utilisé à la fois pour construire la situation de formation et comme objet d évaluation. Cette situation est complexe [2] et obligeà une analyse multiréférentielle [3]

 

LA VISITE, SITUATION COMPLEXE

Ainsi formateur et stagiaire ont , dans une même situation, à maintenir en équilibre un double système : enseigner/apprendre , celui qui unit le stagiaire aux enfants et celui qui l’unit au formateur. Tous deux auront à entretenir une sorte d’ordre local [4] que chacun peut justifier à partir de schémas d’explication situés à différents niveaux.

Il est donc intéressant de comprendre : comment cet ordre local s’établit, quel type de compromis s’installe, et comment se maintient l’équilibre d'ensemble ? Cette analyse ne prétend pas définir une norme propre à la situation de visite, mais vise à la rendre compréhensible et lisible pour que chacun puisse se définir et se situer. Notre hypothèse de départ est que l’acte de formation n est pas une réduction de l’acte d’enseigner qui viserait à mettre en application un modèle idéal typique, mais plutôt une situation conjointe de changement (formateur/stagiaire) ; chacun d’entre eux modifie les grilles de compréhension qu’ils utilisent et ceci de manière négociée.

Nous avons travaillé à partir d’entretiens conduits auprès des CPAIEN et PIUFM EPS du Val d’Oise, de visites de stage, et du travail mené par un collectif CPC-CPD (5) lors d’un stage national de formation de conseillers pédagogiques (6).

Le constat de départ selon lequel un même formateur pouvait avoir des positions radicalement différentes en situation de visite (passant de ce que l’on a coutume de nommer « recettes », au projet le plus innovant) nous a amenés à faire l’hypothèse que les schémas d’explication respectifs du formateur et du stagiaire organisaient au moins autant la situation de visite que le référentiel de compétences professionnelles (7) inscrit dans le plan de formation des IUFM.

 

ANALYSE DE L’INTERVENTION DES FORMATEURS

La modélisation des interventions des formateurs lors des visites a été construite à partir des huit analyseurs listes ci-dessous :

  1. Quelle est la nature de l’intervention faite auprès du « se formant » : une aide directe avec prise en charge du groupe classe par le formateur ? Une série de conseils ? La mise en œuvre d’un projet spécifique (randonnée cycliste, sortie escalade, chorégraphie, etc.) en co-responsabilité ?
  2. Quelle est la fonction dominante de l’intervention : ramener le calme et mettre les enfants en action ? Enrichir la situation ? Partager un projet pédagogique innovant et/ou ambitieux ?
  3. Quel genre de formalisation est mis en œuvre ?
  4. Quelle est la nature des moyens utilisés : des « recettes » ? Des conseils ? Le partage de l’action ?
  5. Quelle est la durée du processus de formation ?
  6. Quel type de relation pédagogique est engagée ?
  7. Quels sont les modèles de formation sous –jacents ? Il en existe trois très prégnants :
    • celui qui incite à apporter les réponses aux problèmes rencontrés,
    • celui qui amène le « se formant » à construire des réponses opérantes,
    • celui qui a pour intention d’identifier la méthodologie utilisée pour élaborer les réponses
  8. Quelle est la nature de l’évaluation ?

Ces analyseurs nous ont permis de dresser le profil de trois types d’interventions dominantes que nous qualifierons : d’assistance, de conseil, et d’accompagnement. Elles sont décrites ci-après à partir de ces items d’analyse. Comme toute typologie, la modélisation est réductrice, et n’exclut pas bien entendu que chacun des types puisse se superposer ou coexister à un moment donné dans les discours ou les pratiques que nous avons eu à analyser.

 

L’ASSISTANCE

Cette forme d’intervention que nous pourrions qualifier « d’assistance à stagiaire ou praticien en danger » est par nature une aide immédiate visant le rétablissement rapide de l’ordre local évoqué plus haut.
Elle s’adresse le plus souvent à des jeunes collègues n’ayant aucune expérience de l’enseignement de l’EPS et qui ont tout à la fois des problèmes de contenu et de conduite de classe à gérer, dans un espace (stade, gymnase, plateau ) structuré de manière très différente d’une salle de classe ou qui ne leur est pas familier.
Dans cette situation, les enfants débordent rapidement l’enseignant pour des raisons aussi différentes que : le manque d’intérêt ou de sens des activités proposées, l'absence de matériel ou l'inadaptation de l’espace utilisé. Nous nous situons ici au niveau 1 d’expertise à enseigner l’EPS, tel que nous l’avons décrit dans Enseigner l’EPS dans le premier degré [1].

La fonction immédiate de l’intervention du formateur vise la « survie » du système enseigner/apprendre, dans un milieu inconnu voire hostile. Cette intervention se formalise dans l'idée de « recette », le formateur propose une série d’actes ou de décisions qui permet de rééquilibrer le système en péril, afin de ramener un ordre local acceptable.

Le processus de formation est alors aligné sur la durée de la séance et même s’il fait l’objet de rencontres par la suite, elles s’organisent dans leur ensemble autour de la proposition d’un modèle pédagogique plus performant que l’on peut traduire au travers des discours par : « Quand c’est comme cela, il faut..., vous devez..., etc. ». Le « se formant » doit donc adopter le modèle proposé, le mettre en application dans un temps quasi immédiat.
L’aide apportée ici renverrait plutôt à l’idée d’un tutorat assuré par un praticien plus expert et ceci de manière très pragmatique. Le schéma d'évaluation qui est associé à cette forme d intervention est plutôt d’ordre sommatif, c'est l’occasion de dresser un bilan comptable de ce qui va et ne va pas : « Les enfants ont attendu trop longtemps avant d’ agir, vous n’avez pas tracé l’aire de jeu et un ballon pour vingt enfants c’est trop peu, vous auriez dû partager le groupe, baliser le terrain et multiplier les occasions de rendre les enfants actifs en... »

 

LE CONSEIL

Dans ce cas, le rôle du formateur se rapproche de celui d’un consultant, il suggère une série de conseils ou de propositions, non plus pour rétablir une situation chaotique, mais pour exploiter des pratiques jugées dans l’ensemble acceptables.

Autrement dit, il s’agit ici d’enrichir ou d’affiner les réponses des enfants en introduisant des méthodologies appropriées comme celle dite de résolution de problème, ou en proposant l’utilisation d’outils d’évaluation et de démarches contractuelles telles que nous les avons établies dans le niveau 2 d’expertise cité lors d’une publication précédente [1].

Le formateur donne ses conseils lors d’une série de rencontres visant à la fois, l’enrichissement des pratiques par un renforcement des projets en cours, une expertise supérieure du stagiaire à (re)finaliser le système enseigner/apprendre en lui proposant des outils à expérimenter, qu’ il s agisse d’outils didactiques, pédagogiques ou méthodologiques pour organiser la classe ou les préparations.

Il s’engage une sorte de dialogue pédagogique autour des réalités de la classe, des résultats obtenus au niveau des enfants, l’intention générale du processus de formation restant « l’expertise à enseigner l’EPS ». Le contrat de formation évolue de manière implicite ou explicite, au rythme des évaluations menées à la fois par le stagiaire et le formateur lors de leurs rencontres. Nous parlerons d’évaluation formative au sens où les séries de constats conduites par l’un et l’autre sont interprétées pour (re)formaliser le processus de formation.

 

L'ACCOMPAGNEMENT

La formation s'organise ici non plus autour d’une réalité de situation mais autour du projet commun de faire évoluer les pratiques, à la fois dans leur mise en œuvre (innovation) et dans leur mode d'analyse (recherche).
Formateur et « se formant » se trouvent engagés conjointement dans la réalisation d’un projet commun à la manière d'un « compagnonnage ». Si nous utilisons la métaphore du compagnon, c’est pour pointer que, dans ce type d’ intervention, il est davantage question d’identité professionnelle et de chef d’œuvre (le projet) que de technique (premier type d'intervention) ou d’outillage (deuxième type).
Il y a dans cette forme d’intervention tout à la fois des perspectives d’accompagnement, de formation et de recherche, qu’elles soient d'ordre technique dans la mise en œuvre du métier ou identitaire (identité professionnelle). Le dialogue ne s'engage plus autour de techniques ou de résultats obtenus, mais autour du projet et des valeurs qui le fondent, valeurs propres à un corps de métier, celui d'enseignant.
On peut dans ce cadre imaginer, par exemple, la mise en œuvre d’unités pédagogiques orientées par les jeux d’opposition qui soient étroitement liées à un événement national ou international (championnat de France, d’Europe ou du monde...) en collaboration avec des membres d'une fédération sportive, d'un club ou un champion, et qui visent autant la citoyenneté, le respect de la règle ou de l’autre que l’acquisition de comportements moteurs opérants. Nous serions ici au niveau 3 d’expertise tel que nous l'avons défini [1].
Ainsi, s'il était question de « survivre » dans le premier type d’intervention, « d'avancer » dans le second, l'idée générale ici est « de comprendre, de conceptualiser et d’interpréter les évolutions d'un métier », qui doit faire face à des situations nouvelles, comme la présence de partenaires, la violence, les nouvelles technologies, l'aménagement du temps scolaire, tout ce qui en d’autres termes fonde les Nouvelles Politiques de l'Ecole (NPE).

Autrement dit, il est plus question d'innovation et de transformation des pratiques que de formation proprement dite. Le formateur introduit plutôt des méthodologies d'analyse qu'un modèle d’action ou des techniques. Le projet est central dans ce type d'intervention quelle que soit sa nature, qu'on le qualifie d‘action, de professionnel ou de personnel.

La relation qui unit formateur et « se formant » est de l’ordre du parrainage, c'est-à-dire qu'elle marque l’entrée du « se formant » dans un cercle restreint d’experts, reconnus le plus souvent comme des « professionnels » ayant le développement pour perspective, à la fois développement des pratiques et évolution personnelle.
L'évaluation [5] reprend ici son sens étymologique, elle est « mise en valeurs », c’est–à-dire construction de sens et compréhension en termes d'éthique, d’intentions et de justifications. Il n’est plus question de contrôler l'application de normes spécifiques à l’acte d'enseigner l'EPS, mais d’interpréter et de légitimer des situations propres à faire évoluer cet acte.

Si nous récapitulons notre typologie sous la forme du tableau présenté ci-dessous, nous obtenons alors une vision d’ensemble. Ainsi, il apparaît bien que, dans des situations qui se voudraient semblables, à fonction identique, un même formateur peut avoir à adopter ces trois modèles, selon la nature des interactions qui s'établissent lors de la visite. Une sorte d’adaptation réciproque des systèmes de compréhension s'élabore dans un compromis pédagogique que seuls, les tête-à-tête propres aux visites peuvent favoriser.
Dans les trois cas, l'acte d'enseigner l'EPS est central et personnalisé. Ces moments permettent de créer de la cohérence entre les différents pôles de formation : IUFM – université - terrain d'exercice. De ce point de vue la création des IUFM en 1992 a constitué un espoir considérable, quatre ans plus tard nous ne pouvons que mesurer la longueur du chemin restant à parcourir.

 

TABLEAU

RÔLES DU FORMATEUR
Assistant
Consultant
Maître
ANALYSEURS
Mode de l'intervention
aide
conseil
accompagnement
Fonction majeure de l'intervention
survie du système
amélioration des pratiques
analyse du processus mis en œuvre
Type de formalisation
recette
contrat
projet
Nature des moyens
techniques et modèles prêts à l’emploi
outils didactiques et pédagogiques
construction de méthodologies d’analyse
Durée de la formation
visite
série de rencontres
processus continu
Statut de la relation pédagogique
tutorat
contractuelle
parrainage
Modèle de formation sous-jacent
assistance
résolution de problème
recherche, innovation, développement
Modalités de l'évaluation
sommative
formative
évaluation de systèmes complexes

Notes :
(1)Conseillers Pédagogiques Auprès de l’Inspecteur de l’Éducation nationale, qu’il soit spécialisé en EPS ou non
(2) Instituteur Maître Formateur
(3) Institut Universitaire de Formation des Maîtres
(4) Qu‘il s agisse d un professeur de l’IUFM, d’un conseiller pédagogique, d’un maître–formateur, voire d’un Inspecteur de l’Education Nationale (IEN)
(5) Conseillers Pédagogiques de Circonscription et Conseillers Pédagogiques Départementaux
(6) Organisé en 1996 a Périgueux
(7) Document reprographié « Référentiel des compétences professionnelles du professeur des écoles stagiaires en fin de formation » établi par le groupe de travail DE/DGES.

Notes bibliographiques
[1] C Merini « Enseigner l’EPS dans le premier degré : articulation de savoirs disciplinaires et mises en œuvre pédagogiques », Revue EPS 1, n° 76 janvier février 1996
[2] J.L Le Moigne « La modélisation des systèmes complexes » Dunod 1993
[3] J Ardoino « L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et formatives ». L’approche multiréférentielle en formation et en sciences de l’ éducation. Pratiques de formation (Analyses) Formation Permanente Université de Paris VIII n° spécial 25/ 26 1993
[4] E Friedberg « Les quatre dimensions de l’action organisée » Revue de sociologie Française XXXIII4 octobre décembre 1992 pp 531 557
[5] J Ardoino G Berger « D’une évaluation en miette à une évaluation en actes » Matrice ANDSHA 1989 p 13